L'AFPS Trégor soutient la coopérative Al Sanabel : "Cultiver, c'est résister"

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Date de l'évènement: 
Samedi, 22 Mars, 2014

Samedi 22 mars (2014), dans la salle Jean Moulin, le groupe trégorois de l'association AFPS (Association France Palestine Solidarité) avait organisé un repas palestinien pour collecter des fonds destinés à soutenir une initiative solidaire, politique et économique implantée en Cisjordanie. Cent-vingt repas ont été servis. "On a dû refuser du monde, annonce Claude Lintanf, le président de AFPS Trégor, car la jauge de la salle était atteinte".

 

Le projet Al Sanabel - Hébron - Cisjordanie

L'objet de cette soirée, c'était le projet Al Sanabel, "un projet de résistance économique", matérialisé par la création en 2006, à Halhul (22.000 habitants) au sud-est d'Hébron, en Cisjordanie, d'une coopérative destinée dans un premier temps à aider quelques paysans locaux à écouler leur production uvale. Raed Abu Yussef, le Président (bénévole) du Conseil d'Administration de la Coopérative explique la genèse du projet : "La coopérative Al Sanabel est née en 2006 suite à une catastrophe qui a eu lieu dans la région d'Hébron. Israël avait bloqué les villes et les villages Palestinien. C'était quasi impossible de sortir, même à pied. À l'époque, les paysans ont perdu presque 60% de leur production. Il n'y avait plus de marché. Alors on a imaginé la coopérative comme moyen de commercialiser le raisin d'une façon ou d'une autre, car contrairement au raisin de table que l'on ne peut pas conserver longtemps, les jus peuvent se garder jusqu'à un an". En 2007, une petite unité destinée à faire du jus de raisin est achetée. "À l'origine, poursuit Raed, il s'agissait d'une petite coopérative pour une douzaine de paysans. Puis il y a eu beaucoup de demandes d'adhésions pour rejoindre la coopérative…".

S'est alors engagée une deuxième phase du projet : l'industrialisation. Des techniciens agricoles palestiniens sont envoyés en France pour suivre une formation, un terrain est acheté en 2012 par les coopérateurs soutenus par des groupes locaux de l'AFPS, un bâtiment de 500m2 est construit en zone C (NDLR : plus d'informations sur les territoires palestiniens occupés ICI - source wikipédia) le long d'une route neuve financée par les USA et équipée d'un réseau électrique triphasé. Il reste encore à équiper l'unité d'un pressoir pneumatique d'occasion, d'un filtre industriel, d'un pasterisateur, d'un générateur et de deux citernes de stockage de 10.000 litres. "Aujourd'hui, explique le président du conseil d'administration de la coopérative, il y a 365 adhérents producteurs de raisin. Cela devient une grande responsabilité. Vingt à trente mille bouteilles (75cl) sont produites". La production en raisin est de 75.000 tonnes par an et la moitié est vendue à un prix très bas qui ne couvre pas les charges. "Avant, continue Raed, nous avions des clients Israéliens : les colons qui achetaient le raisin à bas prix pour faire des jus de raisin ou du vin. Pour des raisons politiques, on a décidé d'arrêter de vendre aux colons. On a perdu un client important mais on ne le regrette pas. En revanche, la coopérative doit remplacer la quantité que le colon achetait avant".

Al Sanabel, c'est un projet de résistance populaire et non violente.

Tel que décrit supra, Al Sanabel apparait presque comme étant un projet industriel comme un autre, sauf que la Palestine est un territoire sous occupation militaire, que les déplacements n'y sont pas libres et que la concurrence déloyale des producteurs israéliens – notamment les colons occupant illégalement des terres Palestiniennes qui plus est – interdisent aux Palestiniens de vivre de leur production, ici de raisin, mais c'est aussi le cas des olives et des autres productions. Il faut ajouter à cela que selon une ancienne loi ottomane qu'Israël a fait sienne, une terre Palestinienne non cultivée pendant 3 ans devient la propriété de l'état Israélien, sachant que la jachère des terres est souvent provoquée par l'armée occupante qui fait tout pour rendre certaines parcelles inaccessibles ou incultivables, par la mise en place de checkpoints ou tout simplement en empêchant le forage et l'adduction d'eau. Et ne parlons pas des facilités qui sont faites aux jeunes (passeports délivrés facilement par certains pays) pour les encourager à quitter le pays afin de le désertifier.

En favorisation l'écoulement de la production du raisin sur un marché local, en cherchant des aides et des appuis pour étendre ce marché, malgré les contraintes, les tracasseries, la coopérative Al Sanabel est surtout "un projet de résistance populaire destiné à favoriser le maintien des paysans sur leurs terres et à lutter contre l'exode recherché par les autorités israéliennes". "Notre devise, dit Raed Abu Yussef, c'est : cultiver, c'est résister".

AFPS Trégor : défendre le droit international, pour une paix juste et durable

Du côté de l'AFPS, l'histoire du projet est racontée par son président Claude Lintanf et son ancien président, initiateur du projet, Jean-Dominique Robin : "Le groupe AFPS Trégor a été créé en 2008, après l'opération "Plomb durci" qui avait créé une certaine émotion dans le monde (NDLR : Rapport d'Amnesty International ICI). Les trégorois, qui pour certains étaient membres de l'AFPS (association nationale) à titre individuel, ont créé un groupe local sous la forme d'une association autonome, indépendante, qui se reconnait néanmoins dans la chartre de l'AFPS et qui a le droit international pour référence ". Plusieurs projets sont alors menés par le groupe, avec pour objectif de faire connaître le problème Palestinien au public du Trégor et "de faire avancer la défense du droit international dans l'idée d'une paix juste et durable". Pour le groupe il s'agit aussi d'interpeller les élus locaux, d'attirer leur attention sur la réalité de l'occupation, "car on attend qu'ils se retournent vers le pouvoir politique français pour qu'il s'engage beaucoup plus qu'il ne le fait". "Les condamnations des violations répétées du droit international par Israël sont virtuelles, ajoute le président du groupe AFPS Trégor, car elles ne sont pas suivies de sanctions. Israël continue de perpétrer des crimes de guerre, car l'occupation, la colonisation sont des crimes de guerre, des violations du droit international".

En complément de ces actions de sensibilisation à la problématique israélo-palestinienne, l'association AFPS Trégor cherchait un projet de soutien plus concret, en Palestine même. "En octobre/novembre 2012, l'AFPS (France) a organisé, comme elle le fait régulièrement, une mission de découverte de la réalité de l'occupation de la Palestine, de sa colonisation par Israël, destinée principalement à des animateurs et responsables de groupes locaux. Dans ces missions, il s'agit de rencontrer des acteurs locaux de la résistance Palestinienne, au sens très large, des gens comme Raed qui organisent une résistance économique, d'autres qui travaillent sur l'éducatif ou le sanitaire, des animateurs de structures socio-culturelles, des élus locaux, des syndicalistes… afin d'avoir une vision large de la société Palestinienne et d'acquérir un carnet d'adresse de correspondants pour devenir à notre tour organisateurs de missions destinées aux membres des groupes locaux" explique Jean-Dominique Robin. Et c'est donc là que la jonction Al Sanabel et AFPS Trégor a été faite, sachant que de nombreux autres groupes locaux de l'AFPS ont depuis rejoint la cause de Raed Abu Yussef et ont tissé de solides liens de solidarité et d'amitié. "C'est un projet collectif, explique l'ancien président du groupe trégorois, et presque tous les groupes bretons de l'AFPS sont impliqués dans ce projet". "Raed a bien précisé que nous étions sur un projet de développement avec un objectif d'autonomie", précise Claude Lintanf qui explique qu'il ne s'agit donc pas de s'inscrire dans ce qui est le lot de la Palestine depuis des années, qui vit sous perfusion, avec des projets, de l'argent qui vient d'un peu partout dans le monde – "une façon aussi de se donner bonne conscience" – mais sans perspective réelle de vie autonome. "L'objectif de la coopérative, qui a eu besoin d'une aide importante pour se lancer, pour s'équiper, pour fonctionner et qui a encore besoin d'un accompagnement est néanmoins d'arriver à devenir une entité économique et industrielle qui ne dépendrait plus d'aides venues d'ailleurs. C'est ce qui nous plait" termine le président Lintanf.

En Palestine, "l'administration, cela coûte cher"

La conclusion revient à Raed. Pour lui, le marché Palestinien suffit actuellement mais il pourrait y avoir des débouchés à l'export, notamment vers l'Arabie Saoudite et la Jordanie. "Si la production augmentait, l'export est possible, mais cette année par exemple on a fait une belle quantité, mais on n'avait plus de bouteilles dans notre stock". Au-delà de la dimension politique, Al Sanabel est économiquement indispensable explique-t-il "car on est en train de perdre notre culture de raisin qui existe depuis plus de 4.000 ans. De plus, il n'y a pas de travail. Nous avons un taux de chômage très élevé et si tout le monde travaillait, la Palestine arriverait à ne plus demander d'aides économiques. Notre problème c'est qu'on reçoit beaucoup d'aides, trop d'aides et plus on a d'aides, plus la situation économique se dégrade".

Et quand on lui demande où passent alors les aides, avec son plus beau sourire et une légère hésitation, Raed répond : "l'administration, ça coûte cher…". Décidemment, ce n'est pas simple !

 

Pratique : Pour contacter l'AFPS Trégor, écrire à afpastregor@free.fr

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