Bégard – L'école en confinement : Chantal et Christophe Garnier témoignent

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Date de l'évènement: 
Vendredi, 24 Avril, 2020

Vendredi 24 avril (2020) – Deux ordinateurs, deux professeurs de lycée, deux collégiennes, telles sont les données du jeu qui s'appelle "Enseignement & apprentissage en mode confiné" et si ce jeu n'a été de dupes, c'est grâce à la bonne volonté des enseignants et à un surcroît important de leur travail. Annoncé le jeudi 12 mars au soir par Emmanuel Macron et effectif à compter du 16 lundi mars, soit ...

... juste un jour scolaire après, les écoles ont été fermées pour cause de contagion et les enseignements et les apprentissages doivent se poursuivent à distance. Pour beaucoup d'enseignants, ce fut un peu "y'a qu'à, faut qu'on !".

De nombreux écueils pour un enseignement à distance cohérent

"Ça n'a pas été facile à mettre en place, confie Christophe Garnier, professeur d'histoire-géo au lycée Félix Le Dantec à Lannion, chargé de 18 heures de cours hebdomadaires pour une classe de seconde dont il est le professeur principal, une première et deux terminales ; Certes il y avait des outils d'avant confinement mais la situation est inédite et elle a été confrontée à trois écueils. Le premier, c'est celui de l'accès au logiciel ProNote, sorte de cahier de texte virtuel : "les serveurs qui géraient tous ces outils étaient sous dimensionnés eu égard à la sollicitation induite par le confinement et l'enseignement à distance". Le second, c'est que les enseignants n'ont jamais eu de formation sur ces outils, "et il a fallu les découvrir en situation et ça n'a pas été si simple". Le troisième, c'est que les équipements informatiques des enseignants sont personnels et pas toujours adaptés à l'usage requis par la situation. "Aucun de nos deux PC n'a de caméra", illustre l'enseignant qui souligne qu'en la matière "l'Èducation Nationale ne fournit rien" et qui estime utiliser des outils "pensés par des gens qui sont super à fond dans l'informatique et bien équipés".

De fait, il se tourne vers des produits tels que « Zoom » (visioconférence), « Discord » (messagerie instantanée vocale et texte), « WhatsApp » (communication instantanée par messages textuels, audios ou vidéos, "mais je ne suis pas sûr que l'Éducation Nationale voit cela d'un bon œil".

C'est pourtant le dernier – WhatsApp – qu'a utilisé Chantal Garnier, elle aussi professeur d'histoire-géo, mais au lycée Saint-Joseph Bossuet à Lannion. Elle enseigne à une classe de terminale dont elle est le professeur principal et les sections BTS Tourisme. "On n'a pas pu anticiper et j'ai été extrêmement surprise de la décision du ministre ; On n'a pas pu donner de conseils à nos élèves, voir avec eux comment mettre les choses en place, sachant que la veille, le ministre avait annoncé qu'il n'était pas question de fermer les écoles". Elle s'est donc "débrouillée" en tâtonnant et sachant que c'était une période de BTS blanc, elle a fait passer des oraux individuels avec WhatsApp, ce qui sous-entend prise de rendez-vous téléphonique, nécessité de disposer de l'un des deux ordinateurs du foyer et d'un téléphone portable.

Même s'ils concèdent que les outils proposés par l'Education Nationale ont évolué durant le confinement, le défaut de préparation préalable à la mise en place de l'enseignement à distance  a conduit à une absence de cohérence dans les échanges, jugent les professeurs : "On s'est retrouvé avec des élèves qui écrivent leurs devoirs, les photographient et pas toujours avec un bon éclairage, qui nous les envoient à l'envers ou d'autres qui nous les retournent sous Open Office ou en format PDF, ce qui nous obligent à produire une version annotable pour être corrigés" expliquent de concert les enseignants.

Pas simple non plus du côté des élèves

Il est vrai que du côté des élèves, les choses ne sont pas simples non plus ! "Nous sommes dans un bassin assez favorisé, dit Christophe Garnier, mais il y a des situations extrêmement variées : des gens qui n'ont qu'un seul PC, ou qui n'ont pas de PC mais une tablette, ou des smartphones, lesquels ne sont pas du tout adaptés pour rendre un devoir". Il y a aussi les familles, les fratries où il n'y a qu'un seul outil numérique, où un élève ne peut pas suivre la classe virtuelle si le grand-frère ou la grande-sœur ont au même moment un cours avec un enseignant en classe virtuelle [NDLR : Christophe Garnier anime des classes virtuelles en s'appuyant sur l'outil ad-hoc du CNED(1)]. "Et puis, en zone rurale, il y a l'effet des zones blanches, où l'envoi de documents un peu lourds nécessite un temps de téléchargement très long".

Si pour Chantal Garnier, la maturité de ses élèves et étudiants a permis qu'il n'y ait pas trop ou pas du tout de décrochage, pour Christophe Garnier, et notamment avec ses élèves de seconde, "les élèves les plus en difficulté, qui avaient le moins envie de travailler, ont dû décrocher, même s'ils ont fait quelques devoirs". Et à cela s'ajoute le fait que si le programme a été poursuivi au même rythme pour les élèves de terminale et de première, pour les élèves de seconde, "même avec les bons élèves, j'ai été obligé de ralentir" déclare l'enseignant. "Quand ils sont à la maison, ils ne sont pas à l'école, même si on leur a donné un petit rythme ; Il faut qu'ils aient tous l'outil et un lieu adapté au travail, pas le chat, le petit frère... et c'est très compliqué".

Si le seul avantage de l'enseignement à distance est d'avoir permis "de faire des progrès dans les usages du numérique, selon Christophe Garnier, ce n'est pas la solution miracle et ça creuse les inégalités, sachant que les élèves les plus à l'aise dans les apprentissages sont aussi ceux qui sont les plus à l'aise avec l'informatique". Pour le couple d'enseignants, l'enseignement à distance peut marcher ponctuellement, mais "le relationnel et le présentiel ne peuvent pas être remplacés".

A la maison, rigueur et planification

Pour Marie et Emma, les deux filles du couple, collégiennes à François Clec'h en classe de 4ème pour la première et en 6ème pour la seconde, passée la première semaine pendant laquelle certains professeurs ont dû s'adapter – "Ils ne nous donnaient pas de travail" déclare Marie – la suite s'est organisée autour de ProNote et la mise en place d'une organisation rigoureuse de la maison. Ainsi, dès 7h30, la maman s'isole avec l'un des deux ordinateurs pour répondre aux messages des collègues, des élèves, des étudiants, des parents. À 9h, c'est la rentrée en cours pour Emma et Marie qui vont sur l'ordinateur voir ce qu'elles ont à faire dans la journée. "Emma est très motivée et il faut que le planning soit respecté" déclare la maman. Impressions faites des programmes de la journée - "Il n'y a qu'une seule imprimante à la maison" - Marie s'isole dans sa chambre pour travailler et Emma garde le portable et l'attention de sa maman, tandis que le papa, sur l'autre ordinateur, fait ses classes virtuelles. "La consigne est : silence total pendant les classes virtuelles de Christophe" explique Chantal Garnier qui récupère son ordinateur en début d'après-midi et s'isole pour faire passer des oraux à ses élèves et étudiants. Pour Christophe Garnier, l'après-midi est encore consacré aux classes virtuelles, en audio uniquement puisque, comme signalé supra, il n'y a pas de webcam à la maison. "Sur 18 heures de cours que j'avais à faire, j'en ai fait la moitié en classe virtuelle, notre proviseur nous ayant demandé de respecter notre emploi du temps réel pour que les élèves aient un rythme". Par ailleurs, pour le tiers des élèves qui ne pouvaient pas suivre les classes virtuelles, l'enseignant produit la trace écrite du cours donné, pour qu'ils aient le même contenu. Pour les filles, l'après-midi est consacré à finir ce qui n'a pas été fait le matin et elles l'avouent, à faire des appels vidéo avec les copines et les copains. "Et puis, il y a le goûter et ensuite les jeux de société" expose Chantal Garnier qui se remettra au travail le soir pour envoyer à ses élèves et étudiants, le travail à faire. "Le travail est très haché et la charge mentale importante ; On culpabilise de les laisser en autonomie".

La prochaine rentrée est appréhendée par les enseignants

Fermés depuis le 16 mars, une deuxième "rentrée scolaire" des établissements scolaires devrait s'étaler du 11 mai à début juin, mais, comme l'a indiqué le Président de la République lors de son discours du 23 avril : « il n'y aura pas d'obligation du retour à l'école. Il faudra de la souplesse ». A l'issue de la rencontre que nous avons eue avec Chantal et Christophe Garnier, il peut être opportun de se demander comment avoir de la souplesse et des raideurs articulaires dans les usages partagés, équilibrés, justes et cohérents du numérique et les contraintes structurelles des équipements scolaires ?

Les deux enseignants déclarent ne pas avoir d'idée sur la nécessité de cette rentrée de mai, mais ils l'appréhendent. "Ça va être bien pour les élèves qui se sont le plus éloignés de l'école et pour ceux qui sont dans des situations familiales conflictuelles", mais compte tenu du caractère optionnel de cette reprise, ils s'interrogent : "Ça va être difficile de gérer le travail de classe à distance et celui des élèves en classe, sachant par ailleurs que nos filles n'iront peut-être pas au collège dans les mêmes horaires".

Quant aux collégiennes, si Emma fait des appels vidéo, elle avoue : "j'ai quand même envie de revoir mes amies". Pour Marie, qui elle aussi a entretenu ses contacts avec les copines et copains à l'aide d'appels vidéo, la rentrée, c'est "Bof... On est bien ici !".

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Notes : (1) CNED : Centre National d'Enseignement à Distance

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